
Madame la Sénatrice Guidez,
Permettez-moi de vous demander comment va votre sœur. J’espère qu’elle s’est remise de ce qui lui est arrivé. Vous m’en trouvez fort marri. Je vous prie d’accepter ma sympathie dans l’épreuve que votre famille traverse. Je vous présenterais bien mes excuses au nom de la profession mais je n’ai pas la moindre autorité sur elle et je ne représente personne d’autre que moi-même.
Que s’est-il passé exactement ? Auriez-vous l’amabilité un jour d’éclaircir les circonstances du drame de façon à élucider le problème. Qui est cette psychologue qui « aurait fait de la psychanalyse et pas de la psychologie » ? Je présume que c’est une femme comme 90% de la profession. Je me doute bien que vous n’allez pas la livrer à la vindicte populaire. C’est tout à votre honneur et ce n’est pas ce que je vous demande.
Ce qui me semble intéressant et utile serait de déterminer comment votre sœur est « tombée » sur elle. Quelqu’un l’a conseillé ? Est-ce que votre sœur a été « adressée » à elle par quelqu’un ? Est-ce qu’elle-même l’a choisie ? Etait-ce dans le cadre du service public ? Dans un Centre médico-psychologique ? A son cabinet privé ? Comment cette dame s’est présentée ? Qu’a-t-elle proposé ? J’imagine que ce n’est pas de but en blanc qu’elle a posé ces fameuses trois questions qui ont tout déclenché : « Est-ce que vous désirez votre enfant ? Est-ce que vous aimez votre enfant ? Est-ce que, votre enfant, vous lui parlez tous les jours ? » Le trouble a-t-il eu lieu lors d’une première consultation ou après plusieurs séances, voire quelques années ? Ensuite, votre sœur a-t-elle levé la séance d’elle-même directement, sans rien dire, pour ne plus jamais revenir ? Ou est-ce qu’elle a dit à la psychologue qu’elle ne voyait pas le rapport, qu’elle n’avait pas envie de parler de cela, que cela la dérangeait ? Alors, est-ce que la psychologue s’est rendu compte de sa maladresse ? A-t-elle réalisé que votre sœur en avait été affectée ? A-t-elle essayé de se reprendre, de reprendre contact ? Au final, qu’est-ce que votre sœur a fait ? Vers qui s’est-elle tournée pour obtenir de l’aide ? Pardon de revenir sur ces éléments qui sont peut-être un détail pour vous mais qui veulent dire beaucoup pour nous. Cela intrigue et ouvre à de nombreux questionnements.
Idéalement, il conviendrait d’avoir la version de la psychologue. Si elle se reconnaît, j’imagine qu’elle doit être mal à l’aise ces jours-ci, au vu de la tournure et de l’ampleur qu’ont pris les événements. Etant attaquée, elle pourrait essayer de se défendre mais, à mon avis, il y a peu de chance que cela se produise car le déséquilibre est patent. Ironie de l’époque, on écoute tout le monde sauf les psys ! Je l’ai longuement expliqué ailleurs.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les professionnels de la profession montent au créneau. Vous avez ainsi pu assister à l’effet de la première loi de la psychologie sociale : les gens se rassemblent non pas autour d’un chef mais en fonction d’un élément extérieur au groupe. Le fait d’être attaqué unit les gens. L’adversité réunit les gens. Pour être solidaires, il n’y a pas mieux que d’avoir un ennemi commun. C’est l’occasion pour une fois de s’identifier les uns aux autres. Cf l’Europe prenant le parti de l’Ukraine puisque Poutine nous met à juste titre dans le même sac.
D’où la naïveté de ceux qui croient qu’il suffit d’avoir un cerveau pour comprendre quelque chose en psychologie et qui pensent que lorsqu’un bouc émissaire est désigné de l’extérieur, le groupe va spontanément être d’accord pour le sacrifier afin d’être tranquille, amadouer l’autre et ne plus encourir ses foudres. Une telle tentative ne peut que produire l’effet inverse de celui escompté. Il n’y a guère que Staline ou ses épigones actuels qui croient que le groupe se renforce en s’épurant. Certes, lors des attaques hybrides de la psychologie, il y a toujours des gens pour qui l’occasion fait le larron, qui y voient une opportunité mais ils sont minoritaires sinon ils auraient déjà triomphé. La majorité, vous êtes sans doute sensible à cette notion, sait bien qu’elle sera la prochaine sur la liste des ânes, si elle ferme les yeux, détourne le regard. Si on fait le dos rond, si on s’incline, on est mort. L’histoire nous l’a appris : l’autre ne s’en contentera pas. Tout simplement parce qu’il ne veut pas quelque chose en soi mais exercer son pouvoir sur l’autre. Vous découvrez là une loi de la psychopathologie : Si on donne ça à l’autre, il en voudra toujours plus jusqu’à épuisement, capitulation et éradication. Le maître n’est qu’un hystérique qui a réussi.
On peut d’autant moins séparer le bon grain de l’ivraie en l’espèce que la psychanalyse est le père des psychothérapies. Tant mieux pour vous si vous parvenez à distinguer psychanalyse et psychothérapie au premier coup d’œil mais nous consacrons pas mal de temps, d’inventivité et de formation continue à examiner, vérifier, essayer de s’assurer ce qu’on fait. Notons que le risque est plutôt de basculer de la psychanalyse à la psychothérapie que le contraire. Il n’arrive pas souvent qu’on se dise à l’instar de Monsieur Jourdain : « Oups, mince, ma langue a fourché, j’ai fait de la psychanalyse sans m’en apercevoir ! » Cela s’apprécie plutôt à long terme, selon la capacité à se tenir sur une ligne de crête.
Il faut savoir que c’est la psychanalyse qui a ouvert la voie, pour ne pas dire la boite de Pandore, aux psychothérapies modernes. Sinon, on en serait encore à asperger de jets d’eau les fous, leur faire des lobotomies ou des électrochocs. Bien sûr, il y a des querelles de spécialistes universitaires dont c’est la fonction pour trouver des précurseurs. A certains égards, on pourrait faire remonter la psychothérapie à Socrate ou à Jésus Christ, voire au Marquis de Sade. Mais, de fait, cela n’a pas suffit. Il a fallu le pas inaugural de Freud d’aller chercher la cause à travers le langage. Il ne faut donc pas inverser les choses. Ce n’est pas la psychanalyse qui s’exclut des psychothérapies mais les psychothérapies qui se sont dégagées de la psychanalyse.
On pourrait brièvement afficher cet historique avec le modèle de la horde primitive que les psychologues connaissent bien. La psychanalyse est une sorte de père sévère, exigeant, intransigeant, tyrannique. Ses rejetons rêvent de le tuer, de le fuir, d’y couper court, de prendre leur indépendance. C’est une sorte d’exogamie. Ses filles le quittent et s’accouplent à des fils d’autres tribus pour fonder leur propre méthode. Elles savent bien qu’elles ont effectué un mélange de psychanalyse et d’autres trucs plus ou moins fantaisistes pour proposer leurs solutions à disons 7% de psychanalyse. Elles en sont fières donc aussi un peu coupables. Elles pressentent qu’elles lui doivent un certain tribut. Comme vous le savez, la psychanalyse n’a pas breveté sa méthode de même qu’il n’y a pas de brevet de psychanalyste. Mais il n’y aurait guère besoin de recherche en paternité pour établir de vagues ressemblances dues à un reste d’adn psychanalytique préhistorique. D’où le peu d’empressement des psys à s’épurer, à s’hygiéniser. Comment anticiper ce qui se passerait si on leur enlevait ces 7% restants ? Est-ce qu’on s’apercevrait que le roi est nu ? Beaucoup de méthodes ont besoin d’un enrobage psychanalytique pour rendre leur discours de maîtrise plus facilement assimilable. Il est plus sage de faire avec la psychanalyse, toujours source d’inspiration.
Développons cette analogie entre le psychanalyste et le Néandertalien. Même si on a un peu honte de ce grand-père relou, toujours prompt à faire de l’esclandre quand il est bourré, il fait partie de nous et on l’invite quand même au mariage. Du coup, on prend mal que des inconnus de la famille adverse, comme on dit chez nous, fassent du chantage et nous enjoignent de nous en séparer pour gagner en respectabilité. Le jeu n’en vaut pas la chandelle. A ce propos, moi, lorsqu’on me menace, mon attitude est plutôt de dire « Chiche ». Voyons ce qui se passerait si tous les gens des services publics concernés à tel ou tel degré par la psychanalyse devançaient l’interdiction, ne serait-ce qu’en faisant grève, voire démissionneraient. Les pouvoirs publics auraient l’air malin en constatant l’étendue des dégâts. J’ai beau jeu de dire cela car je n’ai actuellement aucune responsabilité extérieure. D’ordinaire, les pouvoirs publics comptent sur l’éthique d’une profession pour la coincer et parvenir à leurs fins.
Dès lors, vous comprendrez que nous fassions front commun. Toutefois, nous avons le double devoir, pour ne pas dire la double contrainte puisqu’on se l’impose nous-mêmes, de concevoir les positions respectives afin d’élaborer leur dialectique. Contrairement à vous qui vous accommoderiez apparemment bien de nous évacuer de l’espace public, nous ne cherchons pas à vous faire taire. Car après tout, nous étions comme vous, à cette place, avant. On pourrait dire cyniquement qu’on a besoin de patients. Plutôt, on se doit à vous comme à nous d’être capable d’accueillir votre parole, d’entendre ce que vous avez à dire. C’est grâce à vous que nous pouvons nous améliorer et que la psychanalyse peut se perpétuer en se renouvelant. Sinon, autant mettre la clé sous la porte.
De tout temps, la psychanalyse a eu affaire à la controverse. C’est ce qu’on a repéré dans notre jargon sous le terme de transfert négatif. C’est tout bête. Si quelqu’un nous adresse sa souffrance et qu’on n’est même pas foutu de la reconnaître, elle se transforme en agressivité. C’est le même principe en politique, comme vous le savez. Lorsqu’on ne tient pas compte du peuple, il commence par parler plus fort pour se faire entendre puis il finit par passer à l’acte. La mythique hormone de l’amour envers les proches se développerait ainsi en hormone de la haine à l’endroit des lointains. Je serais curieux de savoir comment les biochimistes et neurologues expliqueraient cela. C’est peut-être une question de récepteurs synaptiques saturés mais plus sûrement une question de capacité à accuser réception du message ! On peut en déduire la première loi de la métaphysique. On peut toujours se baigner chacun chez soi, patauger dans la fange de son amour propre, s’éclabousser de sa jouissance masturbatoire. Ce syndrome du jacuzzi n’aboutit logiquement qu’à un dialogue de sourds. Mais c’est un peu court.
Alors que pourrait-on faire ensemble ? Déjà, je vous rends grâce d’avoir acté l’existence de l’inconscient, sinon de la psychanalyse dont l’unité est bien moins consistante. L’acte manqué de votre sœur vous a permis de repérer que les gens, y compris les psychanalystes, ne savent pas toujours ce qu’ils disent. Ce qu’on émet nous échappe en partie et dépend aussi de l’autre. Je ne pense pas que la psychanalyste de votre sœur ait eu l’intention de lui faire du mal. Il est légitime de prendre la défense de l’une comme de l’autre. Moi aussi, j’aimerais bien interdire aux autres de me faire du mal. J’aimerais bien être en position de faire une loi contre les paroles malheureuses. Mais ce serait un peu jeter le bain de langage sus-évoqué avec le bébé. Comment interdire aux gens de dire des choses qui font mal ? Comment garantir que l’autre ne va dire que des bonnes choses qui font du bien ? On est d’accord que c’est de cela, des enjeux de l’interlocution, qu’il s’agit, non ? Vous conviendrez que cela n’incombe pas strictement à la médecine, la sécurité sociale, le ministère de la Santé. Est-ce qu’il faudrait créer un ministère des affaires psychiques sur le modèle des affaires sociales ou des affaires familiales ? En matière de paroles traumatisantes, comme on dit vulgairement par assimilation abusive à la médecine, il y aurait fort à faire par les temps qui courent sur la toile, et ce bien au-delà des propos des psychanalystes. Néanmoins, il n’est pas sûr qu’un ministère de la parole ou une police de la pensée soit souhaitable, sans parler de ce que cela augmenterait sûrement le déficit budgétaire.
On est aussi d’accord qu’on ne peut pas laisser tomber les gens comme ça, à ramasser à la petite cuillère comme votre sœur. Même si sa psy ne l’a pas fait exprès, elle l’a quand même fait. Les psys ne peuvent pas s’en laver les mains si facilement. Ce serait infâme. Il y aurait un côté désinvolte, narcissique, voire canaille à se contenter de dire que le patient n’était pas digne de nous, qu’il n’a pas fait l’effort de se mettre à notre niveau, qu’on n’avait pas à nous « abaisser ».
Je trouve que vous avez très bien cerné un point aveugle, presque un trou noir. On ne sait pas toujours pourquoi les gens partent. Comme en amour. Les histoires d’amour finissent mal, en général. Ou elles ne se finissent pas. L’autre part toujours prématurément, selon l’un. Il aurait peut-être pu sinon dû rester plus longtemps. Or, les psys n’interrogent pas leurs patients « C’est votre dernier mot ? » Ils ne proposent pas non plus de remplir un questionnaire de satisfaction ni ne quémandent les étoiles qu’ils leur accorderaient. Ils ne peuvent pas obliger les patients à chanter « Je suis revenu te dire que je m’en vais. » Les patients partent généralement sans demander leur reste, sans se retourner, sans faire de retour d’expérience, sans chercher à dire enfin leurs quatre vérités, sans tout balancer.
Faute de quoi, certains s’évertuent à comparer les réalisations des différentes méthodes en vertu de critères extérieurs, donc artificiels mais il faudrait déjà pouvoir appréhender leurs ratages respectifs, en commençant par intégrer la demande et estimer le décalage d’avec l’offre.
Lorsque cela se passe bien, on peut avoir une petite idée des raisons des patients qui restent dans les parages, voire qui ont le malheur de finir psys. Mais serait également important à saisir les cas où cela se passe mal. Il faudrait que les gens puissent ne pas rester sonnés, étourdis, livrés à eux-mêmes. Qu’ils puissent continuer de faire appel. Hélas, il est souvent difficile de retourner voir son médecin généraliste pour lui dire qu’on n’a pas suivi son conseil, qu’on n’a pas réussi à suivre son ordonnance. On a peur qu’il se fâche, qu’il nous traite d’hystérique. On a peur de subir son courroux si on le défie en lui disant que la personne qu’il a choisie pour nous ne nous plaît pas tellement ou que sa méthode nous semble chelou, bref avouer qu’on n’y a été finalement qu’à notre corps défendant. On a peur de passer pour un moins que rien même pas capable de se soigner. Du coup, on fait une croix dessus. On laisse tomber. On se dit que ce n’est pas pour nous. On a essayé une fois et ça nous a servi de leçon. Honteux et confus, on jure mais un peu tard qu’on ne nous y reprendra plus. On ne veut plus en entendre parler, de ces conneries de psy. On préfère se rabattre sur diverses automédications.
En faisant là aussi un brin de politique fiction, on pourrait imaginer un endroit où, dans l’après-coup, les patients expliqueraient ce que ça leur a fait, où ponctuer cela, où pointer à la sortie. Sauf que les patients ne sont pas là pour répondre à notre demande. Il n’est pas attendu qu’ils aient au final la moindre considération pour nous. Comme disait La Palice, s’ils reviennent, c’est qu’ils n’ont pas fini. Qui plus est, s’ils ont quelque chose à redire, c’est souvent quelque chose à y redire ! Une telle procédure serait biaisée. On ne parle jamais des trains de sénateurs qui arrivent à l’heure. Cela ne pourrait que virer au bureau des plaintes, à l’office des réclamations, au service après-vente, à la main courante, à la chambre d’enregistrement des doléances, au registre des délations, au tribunal administratif. Cela impliquerait un nouveau métier, celui de bœuf-carottes version psy, de super-psy, de méta-psy, de juge de psy. S’ils ne se déclaraient pas d’emblée incompétents, on les voit mal proposer des tentatives de conciliation. Ils ne seraient pas en mesure de dire autre chose que les torts sont partagés et conclure à l’incompatibilité d’humeur ainsi qu’à des mesures d’éloignement respectives.
Vous pourriez néanmoins avoir des surprises. Ce qui rebute ne se trouve pas seulement incarné et encadré par les psychanalystes que déchaîné dans les protocoles infantilisants et programmes de désensibilisation systématique qui vont à la poursuite effrénée d’un bonheur américain aussi repoussant que sans cesse repoussé. Je connais peu de patients qui demandent à voir un psy parce qu’ils ressentent le besoin d’une réhabilitation sociale ou d’une rééducation psychique. Il y a sans doute peu de « malades des nerfs » qui se disent, sur le mode schrébérien, qu’il serait beau de subir une alliance thérapeutique avec un Monsieur Je-sais-tout en blouse blanche. Surtout lorsqu’on se retrouve affecté à un psy, flanqué d’un psy tenu pour variable interchangeable, instrument négligeable au service d’une volonté supérieure divine. Comme s’il fallait se prémunir de toute humanité afin que cela n’ait aucune incidence sur le déroulement prétendument inexorable du traitement, l’essentiel étant qu’il acquière ainsi quelques lettres de noblesse scientifique.
A côté de quoi on pourrait au moins inciter les patients à ne pas se laisser abattre, à ne pas se décourager, à se donner une seconde chance, à eux ainsi qu’à d’autres psys. On pourrait imaginer un numéro vert affiché dans toutes les salles d’attente, vous savez, comme chez le médecin, lorsqu’on veut arrêter de fumer. Pourquoi par une pub du style : changez de psy en cinq minutes. Ce serait un peu spécieux. Cela ressemblerait au dispositif Angela dans les bars. Si vous ne vous sentez pas en sécurité, si vous vous sentez harcelée, si vous avez l’impression qu’on vous a drogué, si vous manquez de lucidité, si vous êtes sous emprise, prévenez le barman ou le psy qui ne doit pas être loin.
Bien sûr, une telle présentification de l’instance tierce a ses limites mais cela rappellerait au patient l’idée qu’il n’a aucune obligation contractuelle, ni a fortiori d’obligation de moyens ou de résultats. Cela éviterait les repentirs de ces quelques patients qui regrettent d’être restés des années en analyse alors que cela ne leur faisait rien ! C’est ballot. Ils devaient croire que faire une analyse revenait à jouer à la bourse. Ce ne serait qu’à la fin, en se retirant, qu’on récupère notre mise et qu’on obtient les bénéfices d’une sorte d’extase coïtale ininterrompue pour l’avenir. Au contraire, ayez à l’esprit que si cela ne vous fait rien tout de suite, ne vous forcez pas, partez. Si on vous dit d’avance par quelles étapes vous allez passer, fuyez.
En réalité, ce mode d’emploi de l’analyste et ces précautions d’usage ont souvent déjà lieu. Lorsque cela se passe mal avec un psy, ce dernier trouve généralement le temps de proposer quelqu’un d’autre pour prendre le relais. Nonobstant, les patients pourraient eux-mêmes avoir un accès direct à un au-delà du psy, qui soit moins lié à lui, qui ne soit pas du pareil au même, qui ne revienne pas au même. Se poserait alors inévitablement la question de qui en répondrait et à quoi cela ouvrirait. Mais on est loin d’y être, comme dirait Zénon.
L’essentiel est de sensibiliser le patient au fait que c’est subjectif, qu’il n’a pas de raison de culpabiliser. Votre sœur a bien eu raison de partir puisque cela ne correspondait pas à ses attentes. On ne se met pas en relation avec n’importe qui, pour faire n’importe quoi, dans n’importe quelles conditions. Comme en amour, ce n’est pas parce que ça rate avec quelqu’un que cela ne se passera pas bien avec un autre. Mais on n’est pas non plus obligé de le refaire.
Toutefois, la psychanalyse ne peut que représenter une forme d’altérité. Grosso modo, elle est là pour donner la réplique en évitant de répliquer la parole du patient qui a tendance à ressasser plutôt que dépasser le problème. Le registre de l’altérité est incontournable pour nous. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement. Sans cela ou si on ne cherche pas cela, effectivement, la psychanalyse n’a pas lieu d’être.
C’est sûr, ce serait génial de pouvoir être totalement pris en charge par l’autre, de s’abandonner à son amour infini qui nous tend les bras. On se laisserait faire par quelqu’un qui sait ce qu’on veut mieux que nous, surtout si nous ne voulons rien d’autre que se conformer, que sa volonté soit faite. On lui confierait notre corps comme en médecine, à un chirurgien ou un hypnotiseur. Réveillez-moi quand vous aurez fini, quand vous en aurez fini avec mon corps et mes pensées. Malheureusement peut-être, tout le monde n’apprécie pas cela. Certains ont envie d’être impliqués, de réfléchir à ce qui leur arrive, de participer à la façon dont ils sont traités, de s’en servir pour modifier la façon dont ils voient la vie, d’y être pour quelque chose. C’est grâce à eux que la psychanalyse existe. Ce ne sont pas tous de mauvaises personnes. Ce serait dommage de les punir et de les priver d’une possibilité de s’exprimer, même si cela ne convient pas aux autres. C’est un peu le principe de la démocratie, comme vous le savez.
Je vous remercie de votre attention.
Je vous prie d’agréer mes salutations respectueuses.
David Monnier
Le 13 décembre 2025.
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