L’argument Bettelheim

Dans l’excellent film Différente de Lola Doillon sorti en 2025, il y a un personnage énonçant que : « La relation passionnelle entre la psychanalyse et la France a joué un rôle majeur dans le retard de la prise en charge de l’autisme ». Il ajoute que c’est à cause de « Bruno Bettelheim qui a estimé que l’autisme était dû à une privation affective grave de la part des parents et surtout de la mère ».

On en est encore là, sérieux ?

Si c’est pour dire qu’avoir fait une analyse n’est pas une preuve d’intelligence, d’accord.

Si c’est pour dire qu’avoir fait une analyse n’est pas une garantie d’ouverture, d’accord.

Sinon, tout le reste est confondant et confusionnant.

1 Un petit tacle au passage, vite fait, gratuit, contre la France où, j’extrapole, de façon générale, les praticiens sont probablement incapables d’être rationnels, scientifiques, objectifs, neutres, de prendre de la distance. En France, on a que des relations passionnelles. On est trop sentimental. On est trop romantique. On s’intéresse trop à la sexualité. C’est bien connu. C’est l’esprit gaulois, je présume, qui a repéré le transfert.

2 Qu’est-ce qu’il en prend pour son grade, le sieur Bettelheim, qui n’était pourtant pas français ! Apatride, selon eux ? Lorsqu’on évoque Bettelheim pour le prendre comme bouc émissaire, on est au niveau du point Godwin, du degré zéro de l’écriture, d’un relent d’effacement et de réécriture de l’histoire des idées.

3 Qu’une théorie soit fausse ne prouve pas qu’une autre soit vraie.

4 J’aimerais bien que les détracteurs de Bettelheim me citent un jour exactement le texte où il aurait dit cela. Je ne dis pas que ce n’est pas vrai mais que je ne sais pas où il aurait eu cette parole malheureuse. Surtout, je ne comprends pas pourquoi les détracteurs s’arrêtent à cela puisque Bettelheim a dit à maintes reprises le contraire. Pourquoi ils ne lui accordent pas ce crédit ? Ce serait tout à son honneur de revenir sur un propos, et ce d’ailleurs de lui-même, bien avant qu’ils s’en mêlent. Ca arrive de dire des conneries, non ? Je suis bien placé pour le savoir, mais ni plus ni moins que vous. Que celui qui n’en a jamais dites me jette la première pierre. Aucun chercheur n’est infaillible. Là, on ne serait plus dans le domaine scientifique mais celui de la foi, de la quête spirituelle d’un maître à penser.

5 Deux poids, deux mesures. Pourquoi les détracteurs de la psychanalyse ne s’en prennent pas également à la médecine, aux dizaines d’hypothèses aussi loufoques que néanmoins légitimes qui se sont succédé depuis un siècle sur la cause de l’autisme ? Je ne m’attarde pas sur les théories actuelles qui m’ont l’air un peu floues. Je ne parle même pas des traitements, insuline, jets d’eau, lobotomie, électrochocs, pack, etc. Je ne reviens pas sur les notions de maladie ou de santé mentale.

6 Stigmatiser Bettelheim est d’autant plus navrant que c’est lui faire trop d’honneur ! Comme s’il était tout-puissant, qu’il avait suffit qu’il dise pour que cela se répande sur Terre à vitesse grand V, que le monde entier s’incline et le croit sur parole ! C’est mal connaître le milieu analytique ! Il n’y a pratiquement rien qui fasse l’unanimité en psychanalyse, à part l’expérience analytique. On n’a pas attendu les neurologues pour converser ou controverser ! La jouissance hystérique du conflit fait partie de l’adn (sic) de la psychanalyse.

7 Est-ce que Bettelheim était un si gros béta bloquant qu’il est parvenu à avoir le rôle d’inhibiteur de la neurologie aux USA durant le siècle dernier ?

8 Les neurologues seraient encore en train de disséquer des lamproies si Freud n’avait pas mis son grain de sel ou plutôt de sable dans l’affaire. (ok, j’exagère).

9 Les sociétés traditionnelles n’ont pas besoin de Bettelheim pour rejeter la faute sur les mères, pour jeter l’opprobre sur les femmes, les vouer aux gémonies. Il est même particulièrement spécieux d’incriminer la psychanalyse lorsqu’on sait qu’elle existe justement parce qu’elle a donné la parole aux femmes et a œuvré pour leur libération (des deux). Est-ce que cela vous dérange de reconnaître cela ? Et où en étaient-ils, les médecins aux siècles précédents, voire encore maintenant ?

10 La psychanalyse a bon dos. C’est une cible facile. Elle encaisse sans moufter. Elle tend l’autre joue et met cela au compte du transfert négatif. Est-ce à mettre au compte d’une déformation ou d’une maladie professionnelle ?

11 Bref, la psychanalyse n’a pas besoin que la neurologie soit détruite pour exister. L’inverse n’a pas l’air d’être vrai. Ce n’est pas l’un ou l’autre, une sorte de lutte à mort. On n’est pas en compétition. Que je sache, on n’a pas encore trouvé le gène, l’hormone, le nerf, le bout de cerveau qui empêcherait un autiste d’avoir envie de parler à un psychanalyste.

12 On peut parler à quelqu’un sans croire qu’on va guérir de je ne sais quoi, sans croire au retour à un état antérieur, sans croire que cela va faire de nous des êtres supérieurs, sans croire que cela va nous rendre identiques à d’autres qui, eux-mêmes, ne sont pas identiques à eux-mêmes mais différents les uns des autres.

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